Un an après son ouverture, le procès de Laurent Gbagbo passionne toujours

  • publiè le : 2017-01-28 13:19:43
  • tags : après - ouverture -  - procès - laurent - gbagbo - passionne
Un an après son ouverture, le procès de Laurent Gbagbo passionne toujours

(Photo d'archives pour illustrer l'article)

Le procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudéest toujours sur les rails devant la Cour pénale internationale (CPI) à LaHaye. L'ex-président ivoirien et son ancien ministre sont jugés depuis un anpour des crimes contre l'humanité, perpétrés au cours des cinq mois de violencequi ont suivi la présidentielle de fin novembre 2010. A ce jour, seuls 29témoins ont déposé à la barre, à la demande du procureur.
De notre correspondante à La Haye,
Tendu, fastidieux, l'interrogatoire de l'avocat deLaurent Gbagbo touche à sa fin. Nous sommes en novembre 2016. Ben Soumahoro sedéclare « fervent militant du RDR et supporter infatigable du docteurAlassane Dramane Ouattara ». Maître O'Shea lance aux juges un regardsatisfait, espérant avoir décrédibilisé le témoin. « Nous ne sommes pas unjury populaire », lâche néanmoins le président Cuno Tarfusser, façon dedire qu'il n'était pas dupe, mais que les élans partisans du témoinn'invalident pas sa déposition. Militant actif, Ben Soumahoro a, pendant deuxjours, raconté avoir mobilisé les partisans du Rassemblement des Républicains(RDR) pour la marche vers la Radio-Télévision ivoirienne (RTI) le 16 décembre2010. Une manifestation interdite et violemment réprimée par les forces desécurité ivoiriennes.
Mais dans son souci de défendre sa cause, le témoinva se laisser piéger. Puisque Alassane Ouattara était devenu chef de l'Etat,explique-t-il, la marche n'était pas illégale. Il n'y avait plus de rebelles,avance-t-il ensuite. « Il y avait les Forces nouvelles et les Forces desécurité. Il y avait deux armées », lâche-t-il. « Vous nous dites queles Forces nouvelles étaient une armée légitime, le 16 décembre ? » enfoncemaître Altit. L'avocat ne va plus parler de « rebelles », mais de « soldats», et renforcer sa thèse : les forces de sécurité ivoiriennes n'ont pastiré sur des civils défilant « à mains nues », mais sur des combattantsprêts à prendre par la force la radio-télé d'Etat.
« Affrontements » à La Haye
Depuis un an, les camps Gbagbo et Ouattaras'affrontent à La Haye par témoignages interposés. Avec leur audition, leprocureur espère démontrer que Laurent Gbagbo a comploté pour « conserver lepouvoir à tout prix », créant au sein même de l'appareil sécuritaireivoirien un réseau parallèle dédié.
Sur les 29 témoins de l'accusation, appelés depuisl'ouverture du procès, de nombreuses victimes des violences sont venues à labarre ou ont déposé par vidéo-conférence depuis Abidjan. Des « insiders », dontcertains sont incarcérés en Côte d'Ivoire en l'attente d'un procès, se sontaussi présentés à la Cour, comme d'autres témoins qui au cours de la guerre ontabandonné le camp Gbagbo à sa fuite en avant. Et enfin, les supportersd'Alassane Ouattara comme Ben Soumahoro, que Maître Seri Zokou, défenseur deCharles Blé Goudé, renonce à interroger. « Il est probable qu'au regard desréponses qui ont été données par le militant... - pardon - par le témoin iciprésent, je n'aurai pas de questions à poser », lance-t-il aux juges. « Onn'est pas à l'école », s'énerve le président Tarfusser, qui s'indigne des «parties de ping-pong » auxquelles se livrent inlassablement défense etaccusation.
Scruté à la loupe en Côte d'Ivoire, le procès del'ancien chef d'Etat ivoirien et de son ex-ministre se déroule dans uneatmosphère électrique. D'autant que jusqu'ici, l'histoire écrite par la CPI estde facto celle des vainqueurs. Après cinq ans d'enquête, aucuneinculpation n'a été délivrée contre les responsables du camp d'AlassaneOuattara. Et croyant ainsi mieux défendre sa thèse, le substitut du procureur,Eric McDonald, s'applique à rejeter toutes références à la rébellion.
La « promotion Blé Goudé »
Depuis un an, plusieurs victimes ont raconté leursblessures par balles, la perte d'un frère, la violence de la répression de lamarche vers la RTI. Une mère a pleuré son fils après le bombardement du marché d'Abobo enmars 2011. Un autre témoin a raconté avoir été battu, et dû assister,impuissant, à la destruction d'une mosquée de Yopougon, où il officiait.
A la barre, un autre évoque « l'article 125. » « Laboîte d'allumettes qui coûtait 25 et le sachet de pétrole qui coûtait 100francs (...) cela voulait dire brûler les gens qui étaient taxés de rebelles oubien d'assaillants ». Metch Metchro Moïse Fabrice avance avoir étécommandant du « Groupement pour la Paix » (GPP), créé après la tentative decoup d'Etat de septembre 2002, qui allait durablement scinder le pays.
A l'époque, « l'Araignée », son nom de guerre, n'aque 19 ans. Il appartient à la « promotion Blé Goudé », raconte-t-il,évoquant ces jeunes formés, armés et intégrés à l'armée, suite à l'occupationdu nord du pays par la rébellion. A l'approche des élections présidentielles de2010, le pouvoir se méfie d'infiltrations rebelles dans la capitale,raconte-t-il, et le GPP organise des patrouilles, collecte des renseignements,arrête les civils aux check-points. Les prisonniers sont remis au Centre decommandement et des opérations de sécurité (CECOS).
Mais en février et mars 2011, alors que plusieurscommunes de la capitale se soulèvent, épaulées par les Forces nouvelles, ilsdoivent utiliser « l'article 125 ». « On n'a pas reçu l'ordre »,assure-t-il, mais lorsqu'il veut remettre les prisonniers au CECOS, « ilsont dit : "Ah, nous-mêmes mon petit, nous sommes débordés" ».Journal officiel à l'appui, maître O'Shea rappelle au témoin que le GPP a étéofficiellement dissous en 2003. Le pouvoir n'approuvait pas, veulent suggérerles avocats de l'ancien président. Une posture, rétorque le témoin, interrogéensuite sur le « Commando invisible ».
La milice avait été décrite par un ancien généralen juillet, qui avait posément évoqué la peur des Forces de défense et desécurité ivoirienne face à cet ennemi insaisissable, violent, et impossible àstopper, parce qu'infiltré parmi la population. Poussé par l'avocat de M.Gbagbo, Metch Metchro Moïse Fabrice accuse aussi le com'zone Koné Zachariad'exactions. « Quels autres actes de violence ont été commis par lesautorités ivoiriennes, depuis le 11 avril jusqu'à aujourd'hui ? » demandeMaître O'Shea. « Est-ce que nous assistons à un autre procès ? »proteste le président. Laurent Gbagbo a laissé à ses avocats le soin de porterle fer, mais compte se battre pour l'Histoire. Le rôle de la France dans lachute de l'ancien président, et les crimes impunis du camp Ouattara, sontdénoncés par les avocats à chaque interrogatoire.
Témoignages publics
A La Haye, les juges ont rejeté les demandes deprotection - l'audition sous pseudonyme ou même à huis clos - demandées parl'accusation pour ce témoin. Comme pour d'autres avant lui, Eric McDonald avaitdéploré « la polarisation » que suscite l'affaire, dans les médias etsur les réseaux sociaux. Rien d'inquiétant pour les juges, qui précisent qu'enoutre, il a témoigné au procès de Simone Gbagbo sans conséquences, et donné desinterviews à la presse.
Après des mois de procédures opaques, les juges semblent décidés à plusde transparence. Le prochain témoin est attendu le 6 février, à la reprise duprocès. Les partisans de l'ex-président devraient de nouveau manifester à LaHaye. Au rythme actuel des auditions, le procureur bouclera sa démonstration àl'été 2019, estiment les juges, qui lui demandent d'accélérer d'autant qu'aprèsl'accusation, la parole sera à la défense des deux accusés.
source : RFI Afrique    |    auteur : Stéphanie Maupas

A voir egalement

Publicité
Publicité