Au-delà de la carte de visite, ce titre lui permet aussi d'arrondir ses fins de mois et de
conserver son passeport diplomatique. Ce privilège a son importance pour un retraité actif, toujours tiré à quatre épingles, qui continue de
voyager régulièrement depuis qu'il a quitté le Quai d'Orsay en 2012. Plutôt que de
pantoufler dans son fief de Senlis, dans l'Oise, où il aurait pu s'adonner paisiblement à sa passion des chevaux, Jean-Marc Simon a en effet créé son entreprise de consulting, Eurafrique Stratégies. Et se présente désormais comme l'ambassadeur des
entreprises françaises en
Afrique, le continent où il a accompli l'essentiel de sa carrière.
« Sur le dessus de la pile »
Cette reconversion expresse a fait
jaser sur les bords de Seine, dans les couloirs feutrés du Quai. « JMS », lui, assume, sans complexe. Comme tout le reste.
« C'est moi qui ai demandé à être entendu par la Commission de déontologie de la fonction publique, assure-t-il.
J'ai pu expliquer que mon but était d'aider les entreprises françaises à gagner des parts de marché. Pourquoi ne pas utiliser mon carnet d'adresses dans les pays que je connais le mieux pour faire remonter le dossier des entreprises tricolores sur le dessus de la pile ? »Théoriquement, comme le rapporte le journaliste Vincent Jauvert dans son livre
La Face cachée du Quai d'Orsay (éd. Robert Laffont, avril 2016), un délai de trois ans est censé être respecté avant qu'un ancien représentant de la République fasse des affaires dans le pays où il a été en poste. Mais le diplomate Jean-Marc Simon a su visiblement
trouver les arguments qui ont fait mouche :
« Quand je me rends à Abidjan, j'y croise trois anciens ambassadeurs américains qui font des affaires sans que personne n'y trouve rien à redire », argue-t-il.
Du secret de la
diplomatie au secret des affaires, le « businessman » Jean-Marc Simon reste évasif sur l'identité de ses clients, et sur les contrats en cours de négociation :
« Une entreprise qui construit des ponts métalliques, une autre qui cultive des fruits et légumes. » On l'a vu récemment aux côtés d'Alassane Ouattara et d'Alpha Condé, les présidents de Côte d'Ivoire et de
Guinée, lors de l'inauguration d'un pont reliant leurs deux pays. On l'aperçoit aussi à Libreville, capitale du
Gabon, où il fut en poste de 2003 à 2009, et où il était déjà
« très proche des milieux économiques »,selon un témoin qui l'a fréquenté à cette époque.
« Il ouvre beaucoup de portes à Abidjan », confie aujourd'hui un Français installé sur place. Toutefois, son entregent est loin de faire l'unanimité :
« Beaucoup d'entrepreneurs se méfient de lui, car il a la réputation de défendre davantage les intérêts d'Ouattara que ceux de ses clients potentiels »,persifle un autre. Dans la métropole ivoirienne, certains évoquent aussi le
luxe avec lequel cet ami du président serait reçu sur les bords de la lagune Ebrié. Il n'en a cure, et affiche %u2013 toujours sans complexe %u2013 sa proximité avec Alassane Ouattara. En novembre 2013, il n'a laissé à personne d'autre le soin de
prononcer le discours de réception du « tombeur » de Laurent Gbagbo sous les ors de l'Académie des
sciences d'
outre-mer, à
Paris. L'occasion de
retracer le parcours du président ivoirien et, comme de bien entendu, de lui
tresser des lauriers.
Adepte de la diplomatie parallèle
Dans une carrière bien remplie débutée dans les années 1970 et qui l'a mené de N'Djamena à Libreville en passant par Beyrouth, Téhéran, Bangui et Abuja, la Côte d'Ivoire restera le point culminant. En 2010, alors qu'il s'apprêtait à
prendre une retraite paisible après cinq années passées à Libreville à
amadouer un Omar Bongo déclinant aux prises avec sa succession et l'affaire des « biens mal acquis », Paris l'appelle pour une ultime ambassade, à Abidjan. Une mission périlleuse : coupé en deux depuis près de dix ans, le pays se prépare enfin à
aller voter à l'élection présidentielle dans un
climat tendu.
« JMS » n'hésite pas longtemps.
« C'est un ambassadeur atypique, qui s'épanouit dans les postes sensibles et qui prise la diplomatie parallèle », note le journaliste et écrivain Antoine Glaser, qui l'a côtoyé pendant des années. Et d'ajouter :
« Il ne faut pas oublier que Jean-Marc Simon est très proche de Michel Roussin, son parrain en quelque sorte au sein de la Chiraquie. » Il fut son directeur de cabinet adjoint lorsque M. Roussin était ministre de la
coopération (en 1993), après
avoir eu des responsabilités importantes dans les services de renseignement extérieurs. « JMS » est, par ailleurs, colonel de la réserve citoyenne, et n'hésitait pas à
revêtir le treillis pour des visites de terrain quand il était en poste en Afrique.
En 2009, sa feuille de route pour Abidjan est claire : il s'agit d'accompagner en douceur le processus électoral, de
rassurer le président sortant Laurent Gbagbo sur les intentions de Paris alors que l'amitié entre le président français de l'époque,
Nicolas Sarkozy, et le candidat Alassane Ouattara n'est un mystère pour personne.
« Nous n'avions pas de candidat », répète aujourd'hui Jean-Marc Simon.
A Abidjan, l'ambassadeur de France remplit sa mission avec application, nouant un dialogue de bon aloi avec un homme qu'il qualifie dans son livre de « tribun », davantage « militant » que stratège. Mais, en décembre 2010, quand Laurent Gbagbo décide de passer en force au lendemain du second tour de la présidentielle, le 28 novembre, à l'issue duquel il est donné perdant, le diplomate français ne tergiverse pas. Face au blocage de la Commission électorale indépendante (CEI), organisé par le pouvoir, il enjoint son président, le prudent Youssouf Bakayoko, de proclamer devant les caméras les résultats dont il dispose et qui sont en faveur d'Alassane Ouattara. Dans la foulée, la Cour constitutionnelle, contrôlée par le régime, invalide le vote dans plusieurs régions du Nord, donnant la victoire de justesse au président sortant. « Une véritable forfaiture », lance Jean-Marc Simon.