Le constructeur automobile chinois Changan a conclu un partenariat stratégique avec Yango Group, l'entreprise technologique d'origine d'origine russe, basée aux Émirats arabes unis, pour accélérer le développement de la mobilité intelligente en Afrique et au Moyen-Orient.
L'alliance, officialisée à Dubaï le 10 novembre dernier marque une étape susceptible d'impulser la stratégie d'expansion de Changan sur les marchés émergents, notamment en Côte d'Ivoire, où Yango est déjà un acteur majeur du transport urbain.
Dans le cadre de cet accord, Yango Motors, la branche automobile du groupe dédiée à la distribution de véhicules, devient distributeur officiel des modèles Changan en Afrique de l'Ouest, à commencer par la Côte d'Ivoire. Le pays constitue en effet un terrain favorable : Abidjan s'impose depuis plusieurs années comme un laboratoire de la mobilité numérique sur le continent, où se retrouvent en concurrence plusieurs plateformes de VTC (voiture de transport avec chauffeur).
Yango, lancé en Côte d'Ivoire en 2018, y occupe aujourd'hui une position dominante face à Uber, arrivé plus tard, et à Heetch, présent de manière plus discrète. Ces plateformes partagent le marché avec les taxis traditionnels, au sein d'un écosystème en mutation.
Jusqu'ici, la majorité des véhicules utilisés dans les flottes de VTC provenaient de Suzuki (notamment le modèle Swift) très souvent importés des usines de production en Inde, choisis pour leur faible coût et leur consommation réduite. Quelques exploitants de ces plateformes ont également introduit des véhicules électriques chinois, mais de manière marginale, faute de réseau de recharge et d'offres locales à grande échelle.
L'entrée de Changan par l'intermédiaire de Yango peut changer la donne : elle pourrait favoriser la modernisation des flottes grâce à des véhicules mieux adaptés à la mobilité urbaine, ainsi qu'à des partenariats intégrés entre constructeurs, plateformes et conducteurs.
Une dynamique que ne manqueront pas de suivre les concessionnaires automobiles dominants, notamment la filiale locale du groupe CFAO (CFAO Mobility), contrôlé par la japonaise Toyota Tsusho Corporation et un des principaux distributeurs de la marque Suzuki. C'est aussi le cas de la SOCIDA (Société Ivoirienne de Distribution Automobile) qui se présente comme distributeur officiel de plusieurs marques en Côte d'Ivoire dont Suzuki
Des modèles économiques divergents
Le rapprochement entre un constructeur automobile et une plateforme de mobilité illustre une tendance de fond observée ailleurs en Afrique. Les opérateurs de VTC développent des stratégies d'approvisionnement en véhicules selon des logiques économiques différentes.
Au Nigéria, Uber s'est allié à la fintech Moove, qui achète les voitures avant de les louer ou de les vendre à crédit à des chauffeurs partenaires. Ce modèle, adossé à des solutions de financement numérique, permet d'élargir l'accès à la propriété pour des conducteurs souvent exclus des circuits bancaires traditionnels.
Dans un registre similaire, la plateforme Gozem, active au Togo et au Bénin, a bénéficié d'un prêt de la Société Financière Internationale (SFI) pour acquérir plusieurs véhicules (majoritairement des Toyota et des Suzuki) destinés au renouvellement de sa flotte. Ces initiatives traduisent un mouvement de verticalisation du secteur : les plateformes cherchent à contrôler la chaîne de valeur, du financement à la maintenance, en passant par la distribution.
Le modèle proposé par Changan et Yango en Côte d'Ivoire s'inscrit dans cette logique, mais avec une différence notable : il repose sur un partenariat industriel où la plateforme devient un canal de distribution et un acteur du développement local de la marque automobile.
La Côte d'Ivoire, marché test pour une expansion régionale
Ce premier déploiement en Côte d'Ivoire revêt une importance stratégique pour Changan. Le constructeur chinois, présent depuis plusieurs années au Moyen-Orient et en Afrique australe, considère l'Afrique de l'Ouest comme un relais prioritaire de croissance. En s'appuyant sur l'écosystème Yango, déjà implanté dans plusieurs métropoles régionales, Changan peut tester son offre dans un environnement numérique dynamique avant de la déployer dans d'autres pays.
Le Ghana, où un distributeur officiel de Changan est déjà présent, constitue une extension naturelle. Yango est également présent, avec une importante base d'utilisateurs à Accra. À moyen terme, d'autres marchés à fort potentiel, comme le Nigéria et le Cameroun, pourraient suivre. Ces pays disposent d'un vivier de conducteurs professionnels et d'une demande urbaine soutenue pour des solutions de mobilité abordables. Toutefois, les contraintes administratives et réglementaires - en matière d'homologation, de fiscalité ou d'importation - demeurent des obstacles à une expansion rapide.
Au-delà de la simple distribution de véhicules, le partenariat entre Changan et Yango vise à poser les bases d'un écosystème intégré de mobilité intelligente. Changan apporte ses technologies automobiles (connectivité embarquée, motorisations hybrides et électriques, systèmes d'aide à la conduite), tandis que Yango met à profit ses données d'usage, son réseau d'utilisateurs et sa plateforme numérique pour optimiser les opérations.
Les deux partenaires partagent une ambition : accroître l'accessibilité des véhicules pour les conducteurs africains, améliorer l'efficacité des trajets et réduire l'impact environnemental du transport urbain. Dans un contexte où la demande de mobilité explose dans les grandes villes africaines, cette alliance sino-émiratie représente une opportunité stratégique tant pour le constructeur que pour la plateforme.
En misant sur la Côte d'Ivoire, Changan et Yango s'inscrivent dans une nouvelle étape de la structuration du marché africain du VTC, dominé jusqu'ici par les acteurs comme Bolt, Uber et, dans une certaine mesure, Gozem. L'initiative pourrait également stimuler la concurrence entre constructeurs asiatiques, déjà nombreux à s'intéresser à la région (BYD, Geely, Great Wall Motors).
Si l'expérience ivoirienne se révèle concluante, elle pourrait devenir un modèle d'intégration entre l'industrie automobile et la mobilité numérique en Afrique, ouvrant la voie à des flottes plus propres, mieux financées et mieux connectées. Une évolution qui placerait la Côte d'Ivoire en position de pionnière de la transformation du transport urbain en Afrique subsaharienne francophone.
source : latribune.fr