''Je n'abandonnerai jamais'' : écarté de la présidentielle en Côte d'Ivoire, le rival de Ouattara, Tidjane Thiam, ne renonce pas

  • publiè le : 2025-04-25 10:49:52
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''Je n'abandonnerai jamais'' : écarté de la présidentielle en Côte d'Ivoire, le rival de Ouattara, Tidjane Thiam, ne renonce pas
Ecarté de la course à la présidentielle en Côte d'Ivoire au moment où sa popularité explose, Tidjane Thiam affirme sa détermination à l'emporter face à Alassane Ouattara. Son élimination arbitraire du processus électoral met en péril la démocratie ivoirienne et pourrait menacer la stabilité de l'Afrique de l'Ouest.

"Quoi qu'il arrive, je n'abandonnerai jamais la quête de la présidence en Côte d'Ivoire", a déclaré à Challenges Tidjane Thiam, joint par téléphone. Mardi 21 avril, le principal rival du président ivoirien Alassane Ouattara a été radié des listes électorales par une juge d'Abidjan. Téléguidée par un président déterminé à conserver le pouvoir à tout prix, cette décision politique ouvre une page d'incertitude pour la Côte d'Ivoire et lézarde sa façade démocratique. A 83 ans, Alassane Ouattara achève un troisième mandat et devrait briguer un quatrième, bien qu'il ne soit pas encore officiellement candidat.

Elu à la tête du PDCI, le principal parti d'opposition le 23 décembre 2023 puis désigné par le parti le 17 avril comme candidat à la présidentielle - avec un score écrasant de 99,5 % de voix -, l'ex-grand financier international a revitalisé le parti fondé par Félix Houphouët-Boigny. Depuis seize mois, il sillonne le pays, à la rencontre de ses compatriotes, en vue du scrutin du 25 octobre.

Sa radiation des listes électorales a été décidée mardi par une juge du tribunal de première instance d'Abidjan - la même qui avait obtenu la suspension in extremis le 16 décembre du Congrès du PDCI, première tentative d'entraver la route de Tidjane Thiam. Un jugement de toute évidence politique : il contrevient à l'avis de la Commission électorale indépendante (CEI), qui avait confirmé le 15 avril son inscription sur les listes, et ne se fonde sur aucun argument sérieux - les preuves de sa nationalité n'auraient pas été « assez étayées ». Problème : ce tribunal statue en premier et en dernier recours sur les décisions de la CEI. Cette faille du code électoral permet au président ivoirien d'éliminer à sa guise ses rivaux. Elle siffle, en théorie, la fin de la partie pour le candidat Tidjane Thiam.

Né en Côte d'Ivoire en 1962 d'un père sénégalais et d'une mère ivoirienne, neveu du « père de l'indépendance » Félix Houphouët-Boigny, Tidjane Thiam avait acquis la nationalité française en 1987, cinq ans après avoir été admis à l'école polytechnique - où il fut le premier Ivoirien à porter le bicorne. Une nationalité à laquelle il a renoncé volontairement en février 2025 (comme l'a confirmé un décret de « libération des liens d'allégeance » publié le 20 mars) afin de couper court à la controverse montante - alimentée par le parti au pouvoir - sur son "ivoirité" qui risquait de freiner sa course à la présidentielle.

Fébrilité dans le camp présidentiel
« Nous pensions que ça se jouerait en août, devant le Conseil constitutionnel, au moment du dépôt des candidatures », indique un membre de son équipe juridique. L'accélération du calendrier, avec cette mise à l'écart à six mois du scrutin, est une preuve de la fébrilité qui s'est emparée du camp présidentiel. Car Tidjane Thiam avait toutes les chances d'être élu président, porté par une énorme popularité et l'aspiration au changement d'une population lassée par quinze ans de règne Ouattara.

Selon un sondage réalisé par un organisme indépendant auprès de 750 résidents ivoiriens, le candidat du PDCI a 57 % de chances de l'emporter au deuxième tour face à Alassane Ouattara, crédité de 43 % des suffrages. Les doutes qui pouvaient encore entourer, un plus tôt, la capacité à fédérer de l'ex-financier international - ancien patron de l'assureur britannique Prudential puis du groupe Credit suisse - sont aujourd'hui dissipés. D'où l'urgence, pour Alassane Ouattara, d'écarter un rival bien parti pour l'écraser.

Côte d'Ivoire : Tidjane Thiam, en piste pour la présidentielle
"Le pouvoir vient d'éliminer par une décision inique et incompréhensible son rival le plus sérieux, ainsi que les sondages le démontrent. Ce n'est pas normal et ce n'est pas l'image que je souhaite que notre pays donne de lui-même", a réagi publiquement Tidjane Thiam, dans une vidéo diffusée le 22 avril. "Le PDCI est uni derrière moi, il n'y aura pas de plan B, il n'y aura pas de plan C, nous voulons aller à cette élection représentée par le candidat que le PDCI s'est librement choisi".

Face à ce sérieux test pour la démocratie, les institutions ivoiriennes n'ont pas fonctionné : l'épisode du 21 avril vient de prouver que le pouvoir en place avait la main sur l'appareil judiciaire.

Saisine de la Cour de justice de la Cedeao
Des institutions internationales vont-elles sauver la démocratie ivoirienne ? Tidjane Thiam pourrait tenter cette voie en saisissant la Cour de justice de la Cedeao, l'organe judiciaire de la Communauté fédérant 16 pays d'Afrique de l'Ouest. Une procédure pourrait également être lancée devant la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples, mais à titre essentiellement symbolique : en 2020, la Côte d'Ivoire s'est retirée de cette juridiction.

L'émotion provoquée sur le territoire par la mise à l'écart du principal candidat d'opposition sera probablement plus efficace que les recours judiciaires. Les sympathisants du principal parti d'opposition en Côte d'Ivoire ont été appelés à manifester jeudi devant les tribunaux du pays. Dans un esprit de responsabilité, Tidjane Thiam a néanmoins appelé à éviter les troubles. "Vous savez l'attachement que j'ai pour la paix, le rejet de la violence, la légalité", a-t-il rappelé, tout en affirmant qu'il n'acceptait pas son élimination. La crainte d'une escalade des violences reste présente en Côte d'Ivoire, dix ans après une crise qui avait fait 3 000 morts, 300 000 réfugiés et un million de déplacés internes, selon l'Organisation des Nations unies (ONU).

La médiatisation de l'affaire pourrait également jouer en faveur de Thiam. Et l'image de vitrine dynamique et pacifiée de la Côte d'Ivoire risque d'être sérieusement ternie par cette affaire, notamment à quelques jours de l'Africa CEO Forum, le grand rendez-vous panafricain organisé par le magazine Jeune Afrique les 12 et 13 mai à Abidjan.

En outre, les enjeux de la campagne présidentielle s'étendent bien au-delà de la Côte d'Ivoire. Locomotive économique de la zone, dont il assure 40 % du PIB et premier producteur mondial de cacao, le pays connaît une croissance robuste depuis une décennie. Elle était de 6,5 % en 2024. La Côte d'Ivoire s'est aussi imposée comme un pôle de stabilité face aux menaces djihadistes qui se sont étendues jusqu'à ses frontières.

Alassane Ouattara pourrait-il faire marche arrière et accepter d'affronter à la loyale son adversaire dans les urnes ? Aura-t-il la clairvoyance de son voisin, l'ex-président sénégalais Macky Sall, qui, après avoir multiplié les manoeuvres pour disqualifier ses adversaires, a fini par se montrer beau joueur en acceptant les règles fixées par le Conseil constitutionnel et en reconnaissant, en mars 2024, la victoire de son successeur ? Saura-t-il se souvenir des embûches qui avaient jalonné son propre parcours, notamment l'année 2010, où son ennemi juré Konan Bédié l'accusait d'être inéligible et maniait l'argument toxique de "l'ivoirité"? Le pire n'est pas toujours sûr.
source : challenges.fr

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