L'ex-premier ministre s'est déclaré candidat à la présidentielle de 2025. Mais l'opposant, qui vit en exil, reste visé par un mandat d'arrêt international et devra bénéficier d'une amnistie pour se présenter.
L'enfant terrible de la politique ivoirienne parviendra-t-il à participer à la campagne présidentielle ? A dix mois du scrutin, prévu en octobre 2025, Guillaume Soro, 52 ans, a officialisé sa candidature à l'occasion de ses voeux de fin d'année, le 31 décembre. L'ancien chef de la rébellion qui a abouti en 2011 à l'arrivée au pouvoir d'Alassane Ouattara, avec lequel il est désormais brouillé, se trouve pourtant en mauvaise posture.
Accusé d'avoir fomenté avec ses partisans une « insurrection civile et militaire » en 2019, il a été condamné par contumace à la prison à perpétuité en 2021 pour « atteinte à la sûreté de l'Etat » et est toujours visé par un mandat d'arrêt international émis par la justice ivoirienne. En cavale depuis cinq ans, Guillaume Soro ne lâche rien. « L'exil m'ayant renforcé, forgé, fortifié, a-t-il annoncé, je suis plus que jamais déterminé à servir mon pays et à me présenter à l'élection présidentielle. »
Contrairement à l'annonce des candidatures de l'ancien président Laurent Gbagbo (2000-2011), de l'ex-première dame Simone Ehivet Gbagbo et de l'ancien premier ministre Pascal Affi N'Guessan (2000-2003), celle de Guillaume Soro n'a pas été suivie par les traditionnelles acclamations de ses partisans. Et pour cause : en exil, l'ancien premier ministre et président de l'Assemblée nationale a dû se contenter d'un discours en visioconférence, au cours d'un direct de près de deux heures sur sa page Facebook. Il n'y a pas dévoilé l'endroit où il se trouvait, même si des rumeurs le situent au Niger, à Niamey. Car si Guillaume Soro préfère garder le mystère sur ses déplacements, il affiche publiquement sa proximité, idéologique et parfois géographique, avec les dirigeants de l'Alliance des Etats du Sahel (AES), ouvertement hostiles à Alassane Ouattara.
« Ouattara ne fera rien pour lui »
Dans ses voeux, Guillaume Soro a d'ailleurs salué « tout particulièrement » les trois « présidents », « le général Assimi Goïta, le général Abdourahamane Tiani, le capitaine Ibrahim Traoré qui, en autorisant ma présence sur le territoire d'Afrique de l'Ouest, me donnent l'opportunité de renouer avec les effluves de l'harmattan de notre sous-région », ainsi que « certains chefs d'Etat », qu'il se garde de citer nommément. Une possible allusion au président togolais Faure Gnassingbé qui, ces derniers mois, a travaillé en coulisses à rapprocher MM. Soro et Ouattara.
Car les conversations téléphoniques entre les deux hommes ont cessé depuis l'été dernier et leurs relations se sont à nouveau refroidies, alors qu'une amnistie présidentielle serait pour Guillaume Soro le seul moyen de revenir dans le jeu politique. « Alassane Ouattara s'est lassé et ne croit plus à ses excuses. Il ne fera rien pour lui », confie un visiteur du palais présidentiel.
Moussa Touré, le porte-parole de son mouvement Générations et peuples solidaires (GPS), se montre pourtant optimiste. Guillaume Soro « sera candidat en 2025 de la même manière que Laurent Gbagbo [lui aussi inéligible] (...). L'histoire en Côte d'Ivoire nous a enseigné que les situations que l'on croyait insolubles ont été débloquées de manière inattendue, rappelle-t-il. Alassane Ouattara lui-même en est un exemple vivant : éliminé juridiquement de la vie politique ivoirienne par une double décision de la Cour constitutionnelle en 2000, il a été réintégré dans le jeu grâce aux accords d'Accra », signés en présence de treize chefs d'Etat africains et du secrétaire général des Nations unies.
Son parti GPS a été dissous
Sa propre inéligibilité n'est pas le seul obstacle que devra surmonter Guillaume Soro. Il lui faudra aussi réorganiser ses troupes alors que le parti GPS a été juridiquement dissous en 2021, et doit désormais subsister sous forme de simple mouvement citoyen. Dans un communiqué publié le 7 janvier, ce dernier s'est dit déterminé à « consolider ses structures internes » et à « réactiver sa dynamique de terrain, consolidant ainsi sa place sur l'échiquier politique national », malgré la condamnation de plusieurs de ses cadres l'an dernier pour « trouble à l'ordre public ». Guillaume Soro « a fixé une feuille de route claire, poursuit le communiqué, visant à transformer GPS en une force politique de premier plan, à même de gouverner la Côte d'Ivoire. »
« Les militants de GPS se sont décomplexés, indique encore Moussa Touré. Ils mènent leurs actions à visage découvert sur le terrain, tiennent leurs réunions sans verser dans la clandestinité, apparaissent dans les médias en revendiquant leur appartenance à GPS. Nous échangeons des courriers et tenons des séances de travail avec des formations politiques ivoiriennes. »
Le nouveau statut de mouvement citoyen revendiqué par GPS lui permet de dépendre de la loi sur les associations, ce qui le rend plus difficile à dissoudre qu'un parti politique. Et ce qui ne l'a pas empêché de s'afficher tantôt aux côtés de Laurent Gbagbo, tantôt aux côtés de Simone Ehivet et du principal parti d'opposition, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), pour des tentatives de rapprochements de circonstance.
Montrer qu'il n'est pas un homme du passé
Dans ses voeux du 31 décembre, Guillaume Soro a également tenu à rassurer ses partisans sur sa santé, sa soudaine perte de poids ayant suscité des interrogations sur une possible maladie grave. « Je sais que beaucoup de rumeurs m'ont fait passer pour un souffreteux, mais je suis là devant vous pour vous dire que je me porte bien. Oui, délesté de quelques kilos, heureusement. Avant, tant j'avais de l'embonpoint, on me surnommait avec moquerie "le petit gros" ! », a-t-il assuré avec humour.
Il reste pour l'heure difficile d'évaluer le poids politique que conserve Guillaume Soro, sa formation n'ayant pu participer aux élections locales de septembre 2023. Outre sa situation juridique, le plus grand défi pour celui qui avant ses 50 ans a vu sa vie politique défiler en accéléré, passant en à peine dix ans de chef rebelle à chef de gouvernement de MM. Gbagbo puis Ouattara avant de monter au perchoir, sera de démontrer qu'il n'est pas un homme du passé, dont l'image et les actes demeurent liés à une guerre achevée il y a près de quatorze ans.
Marine Jeannin (Abidjan, correspondance)